L'histoire du lieu

Les Magasins Généraux, 2013 © Yves Marchand & Romain Meffre

Les Magasins Généraux en 6 dates

Construits au début des années 1930, les magasins généraux ont marqué pendant plus de quatre décennies l’activité industrielle pantinoise. Abandonné et désaffecté à la fin des années 90, le lieu est investi par les graffeurs du monde entier et est alors qualifiés de « cathédrale du graff ». En 2016, l’agence de publicité BETC inaugure publiquement les magasins généraux reconvertis par l’architecte Frédéric Jung. Ils entament alors leur deuxième vie en devenant à la fois lieu de travail collectif et nouveau lieu culturel des voix nouvelles au cœur du Grand Paris. 

1931

INAUGURATION DES MAGASINS GÉNÉRAUX PAR LA CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE COMME ESPACE DE STOCKAGE DE DENRÉES COLONIALES, D’ALCOOLS, DE GRAINS ET DE FARINES. 

1958

PLEIN ESSOR DES MAGASINS GÉNÉRAUX :  PLUS DE 120 PERSONNES Y TRAVAILLENT ET APPROVISIONNENT PARIS (GRAINS, CHARBON, BOIS, FIOUL, TISSUS ET AUTRES MARCHANDISES). 

1970

BAISSE DE L’ACTIVITÉ : DES BÂTIMENTS PLUS ADAPTÉS AU STOCKAGE MODERNE REMPLACENT PEU À PEU LES MAGASINS GÉNÉRAUX. 

2001

FERMETURE DES MAGASINS GÉNÉRAUX. 

2004

LAISSÉS EN FRICHE, LES MAGASINS GÉNÉRAUX DEVIENNENT UN TERRAIN DE JEUX POUR LES GRAFFEUSES ET GRAFFEURS DU MONDE ENTIER. 

2016

RÉOUVERTURE DES MAGASINS GÉNÉRAUX PAR BETC. APRÈS 4 ANS DE TRAVAUX MENÉS PAR L’ARCHITECTE FRÉDÉRIC JUNG, L’ AGENCE DE COMMUNICATION INSTALLE SES BUREAUX DANS LES ÉTAGES ET INAUGURE AU REZ-DE-CHAUSSÉE UN LIEU CULTUREL OUVERT À TOUTES ET TOUS. 

Les Magasins Généraux dans les années 1930

Pantin, ventre de Paris

Les Magasins Généraux sont l’un des derniers vestiges, aux portes de Paris, du fastueux commerce des industries agroalimentaires né du déclin de la production vivrière à la fin du XIXème siècle et de la demande croissante en approvisionnement de la capitale. Paris, ville fluviale, a acquis en 1832 le statut de port maritime et l’autorisation de stocker et de diffuser des marchandises. C’est la naissance des premiers entrepôts de stockage de produits agricoles de toute nature, souvent couplés avec des entrepôts des douanes. En pleine période de surproduction, ces capacités d’entreposage sont à la mesure de l’essor du commerce agroalimentaire dopé par l’arrivée du chemin de fer, qui participe à cette mutation accélérée.

Le canal de l’Ourcq, ouvert à la navigation depuis Mareuil-sur-Ourcq jusqu’à Paris en 1822, est un outil précieux de développement économique. La gare de marchandises, ouverte en 1864, devient rapidement un lieu de transit des marchandises vers Paris. Le trafic du bétail s’y développe avec l’ouverture des abattoirs de la Villette et l’arrivée du marché aux bestiaux en 1867.

Enfin, la proximité de Paris favorise l’entreposage de bois, de vin, d’alcool, etc., ainsi que l’implantation de nombreuses entreprises agroalimentaires répondant au marché parisien : chocolateries, rizeries, margarineries, distilleries, conserveries et aussi, le conditionnement étant indissociable de cette industrie, ferblanteries, verreries, fabriques de sacs et de boîtes en fer-blanc.

Les Magasins Généraux dans les années 1950

Un chef d'œuvre d'ingénierie

Dès 1899, la chambre de commerce de Paris, consciente du rôle majeur du canal de l’Ourcq, exprime le souhait d’établir à Pantin un bassin avec entrepôt. Mais il faudra attendre trente ans, le 10 mai 1929, pour que la mise en eau du bassin ait lieu. Ces aménagements sont réalisés dans le cadre d’un ambitieux projet de prolongement et d’élargissement du canal, transformé en voie navigable pour les grands chalands. Un port est creusé à sec et, à l’emplacement de l’ancien canal remblayé, sont édifiés deux magasins sur les terre-pleins agrandis. 

Les bâtiments, en ciment armé, sont construits par l’ingénieur Chouard conformément aux dessins dressés par l’inspecteur général des Ponts et Chaussées Suquet. Chaque étage, desservi par des coursives extérieures, présente une hauteur différente selon la fonction des plateaux, dont les surcharges admissibles passent de 1 800 kg/m² au premier étage à 400 kg/m² pour le grenier du cinquième étage. La taille des poteaux décroît à mesure que l’on s’élève, comme s’il s’agissait d’exprimer la transmission des efforts et des surcharges dans le squelette de l’édifice. En façade, l’effet produit est singulier à chaque niveau, la section des poteaux s’amenuisant également pour laisser au dernier étage davantage de place aux éléments de remplissage en briques polychromes et aux surfaces vitrées.

Inaugurés le 28 novembre 1931 en présence du ministre du Commerce, les magasins entrent en activité la même année et stockent des produits variés (céréales, denrées coloniales, machines-outils, automobiles, etc.). D’autres installations complètent le dispositif : un hangar à alcool pouvant recevoir dans ses cuves 35 000 hectolitres (hangar utilisé plus tard pour le stockage des fuels) ; des magasins et des hangars sur la rive nord ; un réseau de voies ferrées raccordé à la gare de Noisy-le-Sec pour la rive sud et à la gare de Pantin pour la rive nord ; une gare routière internationale pour les camions, construite en 1950. 

Une relation étroite s’établit entre l’ensemble du port et les entrepôts, qui bénéficient d’un équipement mécanisé pour la manutention : grues de quai pour le déchargement ou le rechargement des bateaux, grues électriques sur le toît pour le chargement des wagons et des voitures. Les balcons de façade reçoivent les marchandises sur de vastes plateformes roulantes, côté canal, et, de l’autre côté, sur des plateformes pivotantes. 

À l’intérieur du bâtiment, les opérations de manutention sont concentrées à une extrémité d’un des deux magasins avec un ascenseur, un grand monte-charge et quatre toboggans. Un procédé pneumatique permet d’aspirer les grains en vrac en hauteur et de les redistribuer vers les étages inférieurs, où des systèmes de cloisons mobiles organisent la partition au gré des besoins et des logiques d’entreposage. Des grues électriques monorails au rez-de-chaussée et suspendues au premier étage complètent ce dispositif intérieur. 

Dans les années 1950, avec la baisse du trafic des céréales, les magasins trouvent de nouveaux débouchés avec le stockage du charbon, du bois de pays, du fuel et, surtout, le stockage du papier de presse, qui atteint 60 000 tonnes par an. En 1958, les magasins occupent en permanence environ quatre-vingt-dix employés et ouvriers (bureaux, manutention, entretien, gardiennage) ainsi qu’une trentaine de dockers, soit au total cent vingt personnes. 

Les Magasins Généraux dans les années 1950
Les Magasins Généraux dans les années 1950
Les Magasins Généraux dans les années 1950
Les Magasins Généraux, 2013 © Yves Marchand & Romain Meffre

Le cycle de l'abandon

Dans les années 1960-1970, les industries agroalimentaires disparaissent progressivement de la capitale, obéissant à de nouvelles stratégies internationales qui tendent à rapprocher les usines de transformation et les régions de production des matières premières. Parallèlement, la nature des biens entreposés évolue et par conséquent la logistique de l’entreposage. 

Les Magasins Généraux de Pantin n’échappent pas à cette mutation et cessent peu à peu leur activité au début des années 2000. La question du devenir du site se pose et, le 20 décembre 2004, la société d’économie mixte locale d’aménagement, de construction et de rénovation de la Ville de Pantin (SEMIP) achète les terrains à la chambre de commerce de Paris Île-de-France. 

L’idée d’un nouveau quartier au bord du canal se concrétise en juillet 2006 avec la création, sur 6,5 hectares, de la Zac du Port, un quartier qui mixera logements, commerces et bureaux. C’est au cours de ces années de transition que les Magasins Généraux deviennent le lieu d’expression des graffeurs.

Les Magasins Généraux, 2013 © Yves Marchand & Romain Meffre

La cathédrale du Graff

Après leur fermeture début 2000, les Magasins Généraux deviennent un terrain de jeu pour des graffeurs du monde entier. Pendant plus de 10 ans, des milliers d’œuvres y ont été réalisées faisant du bâtiment un temple du graffiti et un lieu iconique du street art. Ses milliers de graffitis font alors l’identité des Magasins Généraux. 

Lors de la découverte du bâtiment, l'agence BETC demande aux photographes Yves Marchand & Romain Meffre de capter l’énergie et la puissance originelles du lieu. D'octobre à décembre 2013, le duo réalise ainsi une série d'images des Magasins Généraux qui dévoile toute la richesse artistique de ce temple du graffiti.

La collaboration entre ces deux jeunes photographes français commence en 2002 grâce à leur passion commune pour les ruines contemporaines. Après avoir exploré les décombres à travers l'Europe (France, Belgique, Espagne, Allemagne) en 2005, le duo se rend à Détroit, l’ex-capitale de l’automobile et un symbole de l'Amérique urbaine, pour réaliser leur premier grand projet.
Le livre, « Ruins of Detroit » est publié aux éditions Steidl en 2010 et connaît un succès mondial. Comme l'expliquent Yves Marchand & Romain Meffre, « En visitant des ruines, nous avons toujours essayé de nous focaliser sur des édifices remarquables dont l’architecture incarne la psychologie d’une époque, d’un système, et d’en observer les métamorphoses. » C'est cette approche singulière de la déshérence urbaine qui a conduit BETC à faire appel à eux pour photographier les Magasins Généraux.

Avant de commencer les travaux de rénovation et de transformation des Magasins Généraux, et afin de conserver et de partager avec le public, ce patrimoine culturel unique BETC a rendu hommage au lieu à travers un site Web, puis un livre d’art « Graffiti Général ».

Graffiti Général

Conçu par BETC Digital pour conserver ce patrimoine culturel unique et le rendre accessible à tous, Graffiti Général propose une visite en 3D et en temps réel du bâtiment et de ses nombreuses œuvres. Bien plus qu’un site web traditionnel, c’est une expérience immersive dans les 20 000 m² des Magasins Généraux, la plus grande surface d’un bâtiment jamais modélisée avec la technologie WebGL. La visite permet aussi de découvrir, dans les moindres détails, une quarantaine de graffs emblématiques du lieu qui livrent leurs secrets de fabrication à travers les citations de leurs auteurs. Et pour rester fidèle à la nature du street art en constante évolution, chacun peut graffer à son tour le bâtiment en ligne grâce à un module dédié.

En parallèle au site graffitigeneral.com, BETC a collaboré à la réalisation d’un ouvrage qui propose un regard inédit sur l’histoire du graffiti à Paris et sa banlieue. Dans Graffiti Général, sorti aux éditions Dominique Carré en octobre 2014, l’auteur Karim Boukercha raconte 40 ans d’évolution du graffiti parisien, un mouvement socio-artistique qui a fortement contribué à la transformation et à l’évolution du visage de Paris et de sa banlieue.

Tout au long de l’ouvrage, Karim Boukercha raconte le développement et les codes de cette expression artistique. Les textes de Boukercha, lui-même ancien graffeur, sont accompagnés par une série de photographies réalisées par Yves Marchand & Romain Meffre, connus pour leur approche singulière du déclin urbain, notamment avec leurs clichés de Detroit de 2005 à 2010. Au fil d’un travail d’archive considérable avec de très nombreux documents inédits et une série de témoignages de street-artistes, Graffiti Général invite à un voyage fascinant dans le monde du graffiti depuis les friches et les grands chantiers des années 1980, du centre de Paris jusqu’à l’est parisien et aux Magasins Généraux de Pantin, la cathédrale du graffiti parisien.

Pour vivre l’expérience Graffiti Général, rendez-vous sur www.graffitigeneral.com.

Les Magasins Généraux, 2016 © Yves Marchand & Romain Meffre

Le chantier de reconversion

Entre 2013 et 2016 les Magasins Généraux connaissent un vaste chantier de réhabilitation orchestré par l'architecte Frédéric Jung ayant pour objectif de préserver à la fois sa structure d’origine et de créer un bâtiment tourné vers le futur. 

Accompagné par le promoteur Nexity et l’investisseur Klépierre (qui a revendu le bâtiment en juin 2016 à AG2R La Mondiale), l’architecte Frédéric Jung a donc travaillé dans cet esprit depuis le début du projet. Les poteaux qui rythment les espaces, les coursives (1,4 kilomètre) entourant le bâtiment et les passerelles extérieures ont été conservés. Ce bâtiment d’ingénieur, pensé comme un véritable outil de production, conservera ainsi, selon les mots de Frédéric Jung, « ses évidentes qualités plastiques et sa théâtralité, entre portuaire et balnéaire ». Désireux de respecter au maximum le sens d’origine de la construction, « à la fois poétique et rude », Frédéric Jung a favorisé l’introduction de bois dans la création des patios par deux lames de mélèze. Et de végétaux, notamment avec la conception d’un jardin au 5e étage du bâtiment. Conçu par la paysagiste Carolina Foïs, il offre également des aménagements pour la biodiversité des insectes et des oiseaux. De l’autre côté, le toît du Magasin Est accueille aussi les ruches que l’agence entretenait déjà depuis six ans dans son ancien bâtiment. 

Le projet des Magasins Généraux associe ainsi techniques de pointe et respect des règles actuelles en matière d’écologie. En utilisant bois et lumière naturelle, panneaux solaires et pompes à chaleur, et en créant plusieurs jardins, BETC et Frédéric Jung ont fait le pari d’un bâtiment où la nature a toute sa place. La nuit, une œuvre lumineuse inspirée de la technique de faufilage en couture, signée Atelier H. Audibert, vient souligner l’architecture de l’immeuble.

Les Magasins Généraux en 2016, siège de BETC © Yves Marchand & Romain Meffre

Un nouveau lieu de travail pour BETC

Changer de lieu, ce fut l’opportunité de se réinventer et de repenser l’agence de A à Z. Les Magasins Généraux offrent ainsi des possibilités de travail et d’expérimentations multiples et uniques. Pour opérer cette transformation, BETC a croisé les approches classiques des espaces de travail avec d’autres, plus innovantes, notamment hollandaises, considérant dans une seule et même pensée le lieu, les gens et les outils de travail. C’est ainsi, finalement, que l’agence a pu développer un espace de travail innovant, permettant de nouvelles formes de collaboration et de production adaptées aux usages, modes et envies de chacun, et à la stratégie de l’entreprise. 

La collaboration occupe une place centrale dans toute entreprise, elle doit être exemplaire pour une entreprise de création dédiée à la communication. 

L’essentiel est de permettre aux gens de mieux travailler ensemble dans l’environnement qu’ils souhaitent, d’encourager les rencontres spontanées, de multiplier les circulations dedans et dehors, de créer des points de convergence dans le bâtiment. De fait, les BETCiens, sans exception, sont nomades, en « bureau libre ». 

L’agence n’imagine ses espaces ni sous l’angle de la déco ni sous celui du design branché ; l’idée n’est pas de faire beau, moderne ou arty. L’équipe en charge du projet s’est concentrée sur l’identification des besoins des différents métiers et collaborateurs, et sur la conception de plusieurs projets clés qui vont structurer l’organisation générale. 

Ce gros chantier a été pensé sous la direction de création de Rémi Babinet, renforcée par l’expertise et la direction artistique et de programmation de Catherine Geel et Sophie Breuil de T&P Work UNit, qui ont œuvré sur le projet pendant près de trois ans. Une vingtaine d'équipes de designers européens ont été mobilisées pour concevoir des projets à échelles et fonctions variées : éléments de mobilier (une table haute pour une réunion informelle, une relecture de mobilier urbain au rez-de-chaussée, des bancs sur les centaines de mètres de coursives qui entourent le bâtiment, des gradins qui s’adaptent à différents types d’utilisation), de micro-architecture (les nombreux modules d’espaces de travail, la bibliothèque, les différents lieux de production – films, radio, musique, print, objets…). 

Le résultat final est une forme de micro-urbanisme unique dans lequel, comme dans une ville, les choses se mélangent et s’harmonisent, avec leur histoire, leur fonction, leur usage et leur usure. Pour des gens dont le métier est de créer et de communiquer, les Magasins Généraux deviennent un formidable terrain de jeu.

En savoir + sur BETC
Le Garage, les Magasins Généraux en 2016, siège de BETC © Yves Marchand & Romain Meffre
La Cantine, les Magasins Généraux en 2016, siège de BETC © Yves Marchand & Romain Meffre
Open Spaces, les Magasins Généraux en 2016, siège de BETC © Yves Marchand & Romain Meffre